Passionnée par l’artisanat, la jeune femme Pauline Clotail fonde en 2017 son entreprise Ligne Méridienne. Au sein de celle-ci, elle conjugue un savoir-faire qui lie tapisserie d’ameublement et teinture végétale. Cette recette qu’elle est la seule à maîtriser s’inscrit dans une démarche durable, saine et écologique. Portrait.
Qui êtes-vous ?
Je m’appelle Pauline Clotail, je suis originaire de Strasbourg, je me suis installée à Toulouse il y a quelques années. À la suite d’un master en littérature, j’ai décidé de me réorienter vers les métiers d’artisanat d’art. Après avoir travaillé dans l’ébénisterie, j’ai commencé à faire de la tapisserie d’ameublement. Je voulais compléter le travail du bois avec celui du tissu, qui m’intéresse depuis longtemps. En 2017, j’ai créé mon entreprise artisanale de création « Ligne Méridienne ». L’année suivante, je commençais la teinture végétale.
Que faites-vous ?
Tapissière d’ameublement, c’est un métier qui consiste à restaurer des sièges. Cela peut aller de la chaise au canapé, à partir du moment où il y a une assise rembourrée. Le travail du tapissier, c’est la restauration de toute l’assise : la garniture du siège et le dossier. Souvent, il y a même un travail relevant de la menuiserie au niveau de la structure, si le siège est vraiment abîmé. Il peut aussi s’occuper d’éléments de décoration annexes: coussins, jetés de lit, courtepointes, rideaux tête de lit, tissus tendus…
Aujourd’hui, c’est quelque chose que je fais de moins en moins, afin de pouvoir me lancer dans la création de teinture végétale. C’est comme une liaison. Je façonne mon propre textile en teinture végétale et j’ai pour ambition de le poser sur du siège, ou encore des coussins.
Pouvez-vous présenter “Ligne Méridienne” ?
La teinture végétale et la tapisserie d’ameublement, Ligne Méridienne, c’est la conjugaison de ces deux disciplines. Le but, c’est de créer du mobilier et des objets de décoration d’intérieur, en teinture végétale et en façonnant mon propre tissu. Je souhaite également sensibiliser aux méthodes ancestrales. Utiliser des ressources tinctoriales et textiles qui soient le plus locales possible. Me réapproprier et moderniser les différentes techniques de teintures que j’ai apprises afin d’avoir des créations singulières, minimalistes.
Attirer l’attention sur le travail de cette richesse qui se trouve dans la nature, ainsi que sur les nuances obtenues avec la teinture végétale. Elles ont un effet très apaisant et relaxant pour le regard.
Mais la teinture végétale demande quand même des ressources en eau pour faire grandir les plantes, les cultures. Si on va les chercher dans la nature, il est important de le faire avec conscience et parcimonie. Moi, je fais les deux. Je fais pousser quelques plantes, dans de petites quantités pour le moment. Et j’achète des extraits tinctoriaux, mais toujours à des personnes qui cultivent dans cette démarche écologique et responsable. Mes teintures préférées sont celles que je peux faire pousser par ici. J’aime beaucoup la Garance, on teint avec ses racines. Le châtaignier, on teint avec son écorce, mais aussi avec ses feuilles. Ou encore le Cosmos, une fleur que l’on retrouve beaucoup dans les jardins. Après, en ce qui concerne les cueillettes, on peut teindre avec du Millepertuis.
Il est important de noter : la teinture végétale ne rime pas toujours avec écologie. Des fois, il est possible de teindre avec des extraits tinctoriaux qui viennent de très loin. Notamment des arbres exotiques sur lesquels il n’y a aucune traçabilité, issus de la déforestation et qui ont parcouru beaucoup de kilomètres pour venir jusqu’à chez nous. En revanche, il est prouvé scientifiquement qu’elle est plus saine pour notre santé.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans ce projet ?
Le tissu local et écologique, à l’époque, je voulais déjà le travailler. J’ai commencé à m’intéresser à la laine. À Toulouse et ses environs, il y a beaucoup d’élevage de brebis et de moutons. La laine est un matériau majoritairement considéré comme un déchet. Les éleveurs ne savent pas toujours quoi en faire. J’ai réalisé de nombreux stages, car je voulais créer mon propre textile, pour pouvoir le poser sur du siège. Et tout à fait par hasard, dans le centre de formation où j’ai été initiée au feutrage, j’ai découvert la teinture végétale. Je suis repartie avec l’envie d’en réaliser, car j’ai trouvé cela magique.
Quelles sont les valeurs que vous défendez ?
L’artisanat d’art pour commencer. Sensibiliser au travail des mains, aux gestes à travers ces deux disciplines. L’objet artisanal comme poésie du temps. Tout ce temps passé à teindre, à apprendre et à confectionner. Le temps est une valeur très importante dans mon travail.
La durée de vie de l’objet. Quand je fais de la réfection, c’est encore plus pertinent. Ce sont des objets qui ont déjà eu une vie, et auxquels je donne une seconde vie.
Et les objets que je crée, eux aussi, sont faits pour durer dans le temps.
Je travaille beaucoup avec une esthétique minimaliste. J’essaye de travailler avec des tissus qui sont issus de la récupération : linge ancien, draps en chanvre ou en lin. Des fibres végétales et naturelles, car la teinture végétale fonctionne uniquement sur celle-ci. Le tout, le plus local possible.
Une anecdote à partager depuis le début de votre activité ?
Je travaille sur des processus de teinture par fermentation. C’est toujours très expérimental. Mais cette pratique est plus écologique : elle nécessite très peu d’eau et d’électricité. Les teinturiers de l’époque avaient mauvaise réputation, ils vivaient aux abords des villes, à côté des cours d’eau, à cause de l’odeur qui émane de la teinture, celle-ci était plutôt désagréable pour l’entourage.. Et c’est vrai, après avoir fait le test, cela exhale une odeur capable d’incommoder. Sinon, plus récemment, je suis heureuse, car je viens d’avoir mon premier article dans le magazine Atelier d’art de France.
Votre avis sur l’avenir de la décoration éthique ?
J’espère que l’on va continuer dans cette dynamique. Je trouve que cela questionne beaucoup nos modes de consommation. Avant on allait chez un tapissier pour restaurer des sièges, qui restaient dans la famille. Aujourd’hui, on peut changer de canapé trois ou quatre fois, voire plus dans une vie. Et cela pose une question écologique, notamment avec le réchauffement climatique.
J’espère vraiment que cela va évoluer car les ressources de la planète s’amenuisent.
À l’avenir, j’aimerais avoir un jardin tinctorial à moi, que je pourrais faire visiter. Proposer des formations, avoir une petite production, toujours avec une ligne minimaliste. Je ne ferais pas de grandes séries, mais elles pourront être exposées en galeries, ou chez des particuliers.
On s’imagine souvent que le mobilier écologique est plus cher, qu’en pensez-vous ?
Les canapés que l’on trouve dans le commerce sont vraiment moins chers. Mais ils durent aussi beaucoup moins longtemps. Tandis que je le vois dans mon métier de tapissière, quand je fais de la réfection, le canapé est fait pour durer au moins 10, 15, 20 ans. Chez un tapissier le prix est plus élevé car il varie selon les tissus, du type de restauration choisi (traditionnelle ou contemporaine), de l’envergure des travaux de restauration, de la qualité des matériaux utilisés pour la restauration, et du prix de la main d’œuvre de l’artisan. Mais un canapé Ikéa au bout de trois ou quatre ans, il est déjà fatigué. Il faut le changer. C’est ce qui est difficile à faire comprendre aux gens : on est dans une société de l’immédiateté. Dans la durée, la réfection ou la création d’un canapé par un tapissier est plus rentable, que l’achat d’un canapé Ikéa.
Le conseil de la professionnelle ?
La teinture végétale, on a tendance à se dire qu’elle tient moins bien dans le temps. Il se trouve que les couleurs sont très sensibles aux UV, mais il en est de même pour les couleurs chimiques. Il ne faut donc pas trop les exposer. Quel que soit le type de tissu, les UVs auront toujours une influence, ils détériorent petit à petit tout type de fibre (végétale, animale, synthétique). Et pour l’entretien, il suffit de les laver avec du détergent doux et neutre au niveau du PH. Toutes les molécules colorantes réagissent fortement avec le PH. On utilise beaucoup de produits abrasifs au quotidien. Et en période de pandémie, on a tendance à tout aseptiser, et sur des couleurs végétales, ça fait beaucoup de dégâts.